La députée LREM multiplie les déplacements et les questions écrites pour défendre la cause des Français de l’étranger
Amélia Lakrafi, républicaine jusqu’au bout des ongles
Pascal Airault
Engagement
Députée LREM de la 10e circonscription des Français établis hors de France (Afrique, Moyen-Orient). La jeune élue est l’une des plus actives de l’Assemblée. Elle a effectué 25 déplacements à l’étranger depuis son entrée en fonction et parcouru 220 000 km pour aller à la rencontre de ses compatriotes. Du 3 au 5 novembre, elle participera aux premières journées du Salon du livre francophone de Beyrouth pour faire la promotion de la culture de langue française.
AMELIA LAKRAFI REÇOIT SON VISITEUR au café « Le Bourbon », à deux pas de son bureau (celui qu’a occupé Laurent Fabius avant d’entrer au gouvernement Hollande) au 3 rue Aristide Briand. Hasard des rendez-vous, Bruno Le Maire devise avec Michel Barnier, le négociateur européen du Brexit, quelques tables plus loin. C’est justement au ministre de l’Economie que la députée LREM s’apprête à envoyer un courrier. Elle souhaite le sensibiliser à la valorisation du capital immatériel des entreprises. « Les nom-breux travaux de recherche menés de l’autre côté de l’Atlantique ont montré qu’une meilleure prise en compte du capital immatériel peut avoir un impact très important sur l’activité économique », explique-t-elle en citant l’exemple du patrimoine immatériel de Spotify, la plateforme d’écoute musicale en streaming. Sa marque, sa liste d’abonnés et d’utilisateurs, constituant 90 % de sa valeur, lui a permis de lever d’importants capitaux, d’assurer sa viabilité financière.
Les Etats-Unis et la Chine reconnaissent cette forme de capital et la députée espère que la France les rejoindra dans le cadre du projet de loi Pacte. « Ce patrimoine doit être pris en compte par les banques et institutions d’aide publique pour l’octroi de crédits aux entreprises », plaide l’élue. Un sujet qu’elle connaît bien après avoir gagné en 2013 un appel d’offres pour la mise au point d’un logiciel évaluant le capital immatériel des sociétés.
«Arrondir les angles ». Depuis son arrivée au Palais Bourbon, il y a un peu plus d’un an, la députée de bientôt 41 ans a posé une trentaine de questions écrites au gouvernement, une majorité en faveur des Français de l’étranger (retraites, mariage, accès aux soins, fiscalité, visas pour les couples mixtes…), d’autres sur des pro-blèmes concrets comme les décharges illégales ou la qualité et de la sécurité des vols Air France entre Paris et le Gabon. Elle espère prochainement obtenir des banques françaises de justi-fier de manière écrite la fermeture des comptes des Français à l’étranger et de respecter les frais bancaires. Administratrice de l’AFD, elle suit les questions de coopération et participe à plusieurs groupes d’amitié (Afrique et Golfe) et d’études (entrepreneuriat féminin, diplomatie écono-mique, cybersécurité, Chrétiens d’orient…). Elle intervient plus discrètement, en relation avec les ambassades, pour défendre la cause des Fran-çais incarcérés à l’étranger. Ou celle des entre-preneurs comme récemment pour un dirigeant d’entreprise en Ethiopie ayant des difficultés à renouveler son permis de travail. « Nos sociétés sont soumises à de fortes pressions fiscales et su-bissent parfois des nationalisations pénalisantes, poursuit la députée. Il faut relayer les difficultés aux plus hautes autorités. Souvent un coup de fil permet d’arrondir les angles. Les chinois ou les Turcs ne s’en privent pas. » Elle a aussi récemment fait du lobbying pour obtenir un terrain pour un lycée français auprès d’un président en Afrique centrale.
Amélia Lakrafi est régulièrement attaquée sur les réseaux sociaux. Cette experte de la cybersécurité relaie les fake news sur son site aux côtés des vraies infos. Un domaine d’expertise qu’elle a développé dans ses fonctions de dirigeante d’une société de cybersécurité créée en 2014. Commandant de l’armée de terre au titre de la Réserve citoyenne cyberdéfense, l’élue a constitué un solide carnet d’adresses en devenant membre de plusieurs associations dans la sécurité industrielle, l’informatique et l’entreprenariat.
Dans le monde politique, elle fait figure de novice au parcours atypique. Les responsables LREM l’ont repéré en 2017 et propulsé sur le de-vant de la scène. Née à Casablanca un 20 mars, le jour du printemps et de la Francophonie, elle a vécu jusqu’à l’âge de deux ans dans le quartier de Mers sultan où un certain Marcel Cerdan a habité. Son grand-père paternel, qu’elle n’a pas connu, a servi Mohammed V. Son père appar-tient à la noblesse du royaume mais a été rejeté par sa famille après avoir épousé une roturière employée dans sa société textile. Le couple s’installe à Paris en 1980 mais se déchire très vite. Amélia, ses quatre soeurs et son frère sont alors placés en famille d’accueil avant d’être ballottés par les services sociaux dans plusieurs villes de France. Elle échoue à neuf ans chez les bonnes soeurs, à l’internat de la Fondation Eugène Napoléon dans le 12e arrondissement. Elle rejoint sa maman, à la santé fragile, le week-end au Mont-Valérien. Elle poursuivra sa scolarité au lycée Sainte-Clotilde à Paris. « La France m’a tellement donné que je ne sais pas comment lui rendre, confie-t-elle. C’est l’une des raisons pour laquelle je me suis inscrite à la réserve citoyenne ».
Anges gardiens. L’adolescence sera plus difficile. En 4eme, Amélia Lakrafi déménage à la cité Berthelot à Nanterre et rejoint le collège Victor-Hugo. « Mes soeurs et moi en avons pleuré pendant six mois! se souvient-elle. On se faisait em-merder par les squatters car il n’y avait ni papa ni grande frère à la maison. » Eduquée comme une fille de bonne famille par les religieuses, l’ado-lescente n’a pas les codes de la cité. A l’école, ses amis la renvoient à son arabité. Il lui faudra un peu de temps pour apprendre à se mouvoir dans ce nouveau monde. Elle ne renouera avec le Ma-roc qu’en 2012 au cours du Rallye des sables. Un choc émotionnel. Un an plus tard, elle est appe-lée par Salah Bourdi, adjoint à la mairie d’Epinay-sur-Seine, qui monte le cercle Eugène Delacroix, association d’élus et personnalités franco-marocaines. Mais elle rejette vigoureusement l’étiquette d’élue portée par le palais marocain. Le statut de binational n’est pas toujours facile à porter. « En France, je suis souvent considérée comme une Arabe et au Maghreb comme une immigrée », souffle -t -elle.
En se retournant sur un parcours qui l’a amené jusqu’au palais Bourbon, la députée remercie ses anges gardiens, comme lorsqu’un professeur l’a appelé pour qu’elle aille à son examen du bac alors qu’elle voulait abandonner les études au dé-cès de son père. BTS commercial en poche, elle poursuivra des études comptables au Cnam puis en intelligence économique à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice. Son mariage précoce, à 18 ans, sera un échec mais n’altérera pas la volonté de réussir de cette ancienne danseuse et boxeuse thaïe. Elle n’a guère plus de temps de faire du sport mais s’ac-corde de longues marches à Paris et en Bretagne, où elle part régulièrement se ressourcer.
Avec sa grande fille, elle visionne des séries sur Netflix comme Dynasty. Et poursuit son apprentissage politique. Elle lit actuellement Déflagration, le livre confession de Patrick Stefanini, ex-directeur de campagne de François Fillon, sur les dessous de la dernière présidentielle.
@P_Airault