C’est le cœur serré que ce 5 avril 2019 j’embarque dans l’avion à destination de Kigali où vont se dérouler les cérémonies officielles de commémoration du génocide perpétré il y a 25 ans dans ce magnifique pays d’Afrique de l’Est.
Le génocide au Rwanda a commencé le 7 avril 1994. En moins de 4 mois, des massacres inouïs, à la machette notamment, ont fait entre 800 000 et 1 200 000 victimes (plus de 20 000 morts par jour !) essentiellement chez les Tutsis et Hutus modérés (les Tutsies étaient minoritaires dans le pays).
Le 7 avril 2019, dans un pays en profonde communion, les cérémonies ont débuté par plusieurs commémorations puis, en présence notamment du président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat et du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le président Kagamé, qui s’est également exprimé en Français, a fait un discours empreint de gravité rappelant que « le Rwanda était redevenu une famille, que les sœurs étaient devenues des mères, que les voisins étaient devenus des oncles et que les inconnus étaient devenus des amis ».
Plus tard, des centaines de rwandais, unis dans la douleur et le recueillement, ont effectué une marche du souvenir vers le stade Amahoro (« Paix », en kinyarwanda), où une veillée a eu lieu, là où des milliers de Tutsis s’étaient réfugiés sous la protection de l’ONU, pour tenter d’échapper à la mort.
Les témoignages m’ont bouleversée, pendant que le stade s’éclairait de milliers de flammes de chandelles comme autant de souvenirs de ces vies arrachées subitement par le torrent de haine et de barbarie qui partout avait déferlé. Le lendemain, j’ai eu l’immense émotion, au côté de Jeannette Kagamé, l’épouse du président, de planter 1 des 6 arbres prévus pour symboliser la vie éternelle dans le jardin de la mémoire, lien et conversation permanente entre le passé, le présent et le futur. J’ai également visité le mémorial du génocide et plus particulièrement la partie consacrée aux enfants exterminés. Ce fût un moment extrêmement poignant de tristesse à jamais inoubliable.
Tout au long de ces commémorations, la France et son Président étaient dans l’affliction aux côtés de nos amis Rwandais. Emmanuel Macron l’a, par ailleurs, laissé clairement entendre. Il veut tourner la page de la Françafrique, refonder les bases de la diplomatie française en Afrique et souhaite naturellement ouvrir une nouvelle ère dans les relations Franco-rwandaises.
A ce titre et en premier lieu, au regard du rôle de la France (présidée à cette période par François Mitterrand avec Edouard Balladur comme premier ministre et Alain Juppé comme ministre des Affaires étrangères) et des accusations de complicité avec le régime Hutus responsable du génocide, Emmanuel Macron a décidé en mai 2018 l’ouverture à une commission d’historiens de « toutes les archives françaises » sur la période 1990-1994. Dirigée par l’historien et inspecteur général de l’éducation nationale Vincent Duclert, cette initiative marque une réelle volonté de transparence qui permettra de mieux appréhender l’environnement, notamment en France, d’une situation qui s’est mue en massacres de masse au Rwanda.
Quelques polémiques ont éclaté entre les tenants français d’un statu quo absolu sur cette page sombre de l’histoire et les partisans d’une production totale et publique des archives relatives à cette période. Les uns comme les autres ont tort. L’introspection nécessaire et les clarifications attendues justifient de permettre aux chercheurs, habilités au secret défense, de prendre connaissance d’un certain nombre de documents sans pour autant qu’il soit nécessaire que des dizaines de milliers de pièces et rapports à l’état brut ne soient rendus publics. Laisser entendre que le Président de la République, en imposant la création de cette commission et en orientant « discrètement » sa composition et ses travaux, chercherait à exonérer la France de son rôle supposé est un non-sens. Il lui suffisait en effet de ne rien décider et de laisser à un autre, ultérieurement, la responsabilité de cette décision relative à la possible ouverture des archives. En tout état de cause, l’utilité et la nécessité de cette commission sont avérées et celles et ceux qui chercheront, à la discréditer ou à lui faire barrage, contribueront à entretenir les doutes sur le rôle de la France, voire sur leur propre implication dans la connaissance de ces événements tragiques.
En second lieu, Le Président de la république avait souhaité être personnellement représenté pour ces commémorations du génocide par mon ami le député Hervé Berville, orphelin tutsi adopté en France en 1994 à l’âge de 4 ans. C’était un symbole très fort et ce dernier a incarné la France avec honneur, doublé d’un vif émoi personnel.
Enfin, tout en annonçant un renforcement des moyens pour poursuivre les génocidaires présumés en France Le Président Macron a également décidé de faire du 7 avril « une journée de commémoration du génocide des Tutsis » au Rwanda.
Aucun autre responsable politique français n’a jamais été aussi loin dans cette volonté de reconnaissance et de prise en considération et, ce faisant, le président français a souhaité exprimé « sa solidarité avec le peuple rwandais et sa compassion à l’égard des victimes et de leurs familles« .
Le Rwanda, sorti du chaos, où les mémoires demeurent à vif, a regardé, sans complaisance possible, la vérité en face. C’est désormais un pays en plein renouveau, qui se modernise et qui se tourne résolument vers l’avenir sans rien oublier de son terrible passé même si les tensions actuelles avec l’Ouganda inquiètent légitimement la communauté internationale.
Ce nouveau Rwanda, appelé à jouer un rôle central au sein du continent africain et dans la région des grands lacs, est désormais porté par l’admirable pardon des rescapés et des familles de victimes ciment de la réconciliation, par la force de sa résilience, par l’unité retrouvée de sa nation où il n’y a plus hutus ou tutsis mais uniquement des Rwandais, par les nouveaux liens de solidarité, par la vigueur de sa jeunesse, par sa volonté du pluralisme politique et par sa forte croissance économique.
Alors, de l’ignominie absolue et de la folie meurtrière des hommes peuvent germer les graines lumineuses d’une rédemption incommensurable car c’est bien un message universel que le Rwanda et le peuple Rwandais ont légué au monde entier lors de ces commémorations d’une poignante dignité, celui du pardon en héritage, des humanités renaissantes et d’un avenir profondément fraternel.
Amélia LAKRAFI