Question n°598 publiée le 9/08/2022
Mme Amélia Lakrafi interroge Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur les conséquences directes et à venir du conflit entre la Russie et l’Ukraine s’agissant de la sécurité alimentaire en Afrique. Les difficultés à l’exportation des productions agricoles ukrainiennes et russes – du blé notamment – constituent une menace préoccupante pour de nombreuses populations. Près de 30 % de la production mondiale de blé provient en effet de ces 2 pays qui fournissent jusqu’à 80 % de l’approvisionnement de certains États africains. Notre pays et la communauté internationale sont bien entendu mobilisés. La France durant la Présidence française du Conseil de l’Union européenne a notamment lancé l’initiative FARM. Ces enjeux ont été au cœur du tout récent déplacement en Afrique du Président de la République, auquel Mme la députée a eu l’honneur de participer pour les volets Cameroun et Bénin, deux pays de sa circonscription. Alors que s’ouvrent un nouveau quinquennat et une nouvelle législature, elle souhaite savoir dans quelle mesure le Gouvernement entend donner davantage d’ampleur à l’initiative FARM et dans quelle mesure cela peut contribuer à solidifier nos liens avec nos partenaires africains.
Réponse : Le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde est en augmentation depuis 2014 : les conflits, les événements climatiques extrêmes, plus intenses et plus fréquents du fait du changement climatique, les ralentissements et les chocs socio-économiques, la pauvreté et les inégalités y contribuent à différents niveaux. Les effets socio-économiques de la pandémie de COVID-19 ont en effet sensiblement aggravé la situation. La récession économique mondiale et les pertes de revenus consécutives, la hausse des inégalités sociales, dont les inégalités de genre, ou encore l’inflation des prix des denrées alimentaires, associées à des perturbations des chaînes d’approvisionnement alimentaire, ont largement affecté la sécurité alimentaire et la nutrition des populations de nombreux pays, notamment les plus vulnérables. La guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine vient encore aggraver cette situation déjà très préoccupante, notamment pour plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, d’Afrique du Nord et du Proche-Orient qui dépendent en grande partie des importations ukrainiennes et russes de denrées alimentaires et de produits agricoles pour leurs approvisionnements. La France, qui assurait alors la présidence du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022, s’est fortement mobilisée au plus haut niveau dès le début de la crise, notamment à travers le lancement de l’initiative européenne FARM (Food and Agriculture Resilience Mission). Présentée par le Président de la République à nos partenaires européens et du G7, elle est articulée autour de trois piliers (commerce, solidarité, soutien à la production durable des pays vulnérables). Elle mobilise tous les partenaires attachés à la sécurité alimentaire mondiale, y compris les organisations internationales (PAM, FIDA et OMC, notamment), qui s’en sont déjà saisies en proposant une opérationnalisation de ses différents piliers. Le secteur privé s’implique également et a lancé le 23 juin dernier la Global Business for Food Security Coalition. Quatre mois après son lancement, FARM a déjà apporté des premiers résultats importants et constitue l’un des principaux cadres de réflexion opérationnels face au risque d’aggravation de la crise alimentaire mondiale. S’agissant du commerce, la dernière réunion ministérielle de l’OMC a permis l’adoption de deux déclarations essentielles, pour préserver la fluidité des échanges commerciaux de produits agricoles et, en particulier, protéger les achats du Programme alimentaire mondial (PAM) des mesures de restrictions aux exportations. Sur le pilier relatif à la solidarité, la France soutient non seulement les capacités agricoles de l’Ukraine, à travers l’initiative européenne des « corridors de solidarité », mais aussi les pays dont la sécurité alimentaire est la plus menacée par le niveau élevé des prix, à travers le mécanisme de solidarité du PAM lancé lors du déplacement du Président de la République au Cameroun le 26 juillet dernier. Enfin, sur le pilier relatif à la production durable, la France appuie les efforts du Fonds international de développement agricole (FIDA) pour renforcer la coordination des bailleurs autour de projets contribuant à améliorer la durabilité et la résilience des systèmes alimentaires des pays vulnérables, notamment en Afrique. La réduction des pertes post-récoltes est l’une des quatre priorités identifiées dans la feuille de route du FIDA sur ce troisième pilier, pour lequel un secrétariat sera mis en place par le FIDA avec le soutien de la France. La France se mobilise également dans les enceintes multilatérales et internationales pertinentes, notamment à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), où la France a été particulièrement active pour demander la convocation d’une session extraordinaire du Conseil de la FAO qui a condamné les impacts de la guerre de la Russie sur la sécurité alimentaire, et demandé à la FAO d’adopter les actions nécessaires pour appuyer le secteur agricole ukrainien et la sécurité alimentaire des pays les plus affectés. C’est le cas également au Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), qui a tenu une session de haut niveau à New York le 18 juillet dernier sur la coordination de la réponse à la crise alimentaire mondiale à laquelle les ministres de l’Europe et des Affaires étrangères et de l’Agriculture et de la Sécurité alimentaire ont participé. Par ailleurs, la France a renforcé son aide publique au développement dans le secteur agricole et alimentaire, dont le montant dépassera 700 millions d’euros en 2022, avec notamment un doublement de nos contributions volontaires au PAM (150 millions d’euros), la poursuite de l’augmentation du dispositif français d’Aide alimentaire programmée (114,4 millions d’euros en 2022, contre 33,5 millions en 2018) et une hausse de 50 % de notre contribution au FIDA sur la période 2022-2024 par rapport à la période précédente. Concernant la question du gaspillage alimentaire, la France a eu un rôle pionnier au plan national en adoptant dès 2013 un pacte visant à réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2025. La loi n° 2020-105 du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, est venue encore renforcer le dispositif législatif existant en la matière. Au plus fort de la crise sanitaire, les ministères en charge de l’Agriculture et des Solidarités, en concertation avec les associations et les acteurs de la chaîne alimentaire, se sont mobilisés pour permettre la mise à disposition de nombreuses denrées aux publics les plus précaires, en évitant le gaspillage alimentaire. Concernant plus particulièrement le don de lait, un assouplissement ponctuel des dispositifs en vigueur a été accordé, permettant aux producteurs de renforcer leurs dons et de bénéficier d’une réduction d’impôts. Concernant l’aide humanitaire internationale, et en conformité avec la Convention de Londres relative à l’assistance alimentaire, ratifiée par la France en 2017, l’accent est porté sur d’autres types d’aide que l’envoi de denrées alimentaires, en encourageant notamment l’achat des aliments sur les marchés locaux ou régionaux. Ces nouvelles modalités permettent d’éviter les impacts négatifs de l’aide en nature (déstabilisation des marchés agricoles et impacts négatifs sur les petits producteurs locaux, notamment), qui entravent le nécessaire rétablissement des capacités productives des pays concernés. Cet engagement renforcé, à la mesure des enjeux en matière d’insécurité alimentaire, concerne notamment les populations vulnérables comme les femmes et les jeunes, à travers des actions dans le domaine de l’alimentation scolaire, où la France joue un rôle actif en lien avec le PAM, et dans le domaine de la lutte contre la malnutrition. Sur ce sujet, la France augmente en effet ses financements depuis plusieurs années via l’AAP ou des instruments comme le Fonds français Muskoka, actif dans 9 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, qui consacre 25 % de ses moyens à la nutrition, et elle organisera en 2024 ou 2025 le prochain sommet mondial pour la nutrition, comme le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères avait eu l’occasion de l’annoncer en décembre dernier.