Mme Amélia Lakrafi, rapporteure de la commission des affaires étrangères. Nous sommes appelés à ratifier un accord de coopération de défense avec le Nigéria, conclu en juin 2016. La secrétaire d’État auprès de la ministre des armées vient de nous rappeler la portée de ce texte, qui fournit un cadre juridique global à notre coopération militaire naissante avec le Nigéria. Je ne m’attarderai pas sur le contenu de cet accord, qui s’apparente aux autres accords de coopération de défense conclus par la France avec des pays d’Afrique depuis 2008. J’insisterai simplement sur leur philosophie commune.
De manière générale, ces conventions répondent à notre volonté de refonder notre relation militaire avec le continent africain, pour en faire de véritables partenariats, avec, pour objectif ultime, d’aider les pays d’Afrique à assurer eux-mêmes leur sécurité. Dans cette nouvelle approche, il y a aussi l’idée que la France doit élargir ses zones d’influence traditionnelles pour développer une vision plus globale de l’Afrique.
Avec le Nigéria, cette approche me semble plus que pertinente. Je rappelle que ce pays est le plus peuplé et le plus riche d’Afrique, avec près de 200 millions d’habitants et un PIB de 400 milliards de dollars. La richesse du Nigéria repose encore beaucoup sur les hydrocarbures – pétrole et gaz –, mais le pays a amorcé une diversification économique dans le secteur des services. L’industrie du cinéma et de la musique a également le vent en poupe : elle a généré, en 2017, plus de 4 milliards de dollars, soit plus d’1 % du PIB. Le pays compte déjà 22 milliardaires, 34 000 millionnaires et une classe moyenne représentant 20 % de la population. Même si la richesse est très inégalement répartie, ces chiffres donnent une idée de son potentiel considérable.
Le Président Muhammadu Buhari, réélu le mois dernier avec une confortable majorité, devra toutefois s’atteler urgemment à relever de nombreux défis. Le Nigéria est, en effet, un géant aux pieds d’argile ; il fait face à des problèmes sécuritaires multiples : le terrorisme, avec Boko Haram, les conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la région de la middle belt et la piraterie maritime dans le golfe de Guinée, entre autres.
Les préoccupations sécuritaires du Nigéria rejoignent les nôtres dans cette région du monde. La France est engagée militairement dans la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne, juste au nord du Nigéria. Notre marine nationale est présente en permanence dans le golfe de Guinée, avec la mission Corymbe. Les militaires français se trouvent aussi un peu plus à l’Est, en Centrafrique, et au Sud, au Gabon. Le Nigéria apparaît donc comme un partenaire incontournable dans cette région du monde.
Pourtant, lorsque l’on regarde l’historique de notre coopération de défense, on est surpris de constater qu’elle se résume à bien peu de chose. En réalité, avant 2014, nous n’avions que très peu d’échanges avec le Nigéria dans ce domaine. Ce terrain était entièrement abandonné aux Américains et aux Britanniques. Il ne s’agit donc pas de refonder, mais de fonder un partenariat de défense avec le Nigéria. C’est d’ailleurs la première fois que nous négocions un accord de ce type.
Notre coopération a pris une nouvelle forme, notamment dans le cadre de la lutte contre Boko Haram ; notre renseignement fournit un appui au Nigéria. Ce soutien a reçu un accueil très favorable de notre partenaire. Depuis, nous avons progressivement élargi le champ de notre coopération, mais son ampleur demeure modeste.
J’ai rencontré l’ambassadrice du Nigéria en France et me suis également rendue sur place. À chacune de ces occasions, j’ai constaté à quel point les Nigérians sont demandeurs pour développer la coopération avec nous, à côté de ce que font déjà les Britanniques et les Américains. Ils veulent notamment que nous leur apportions un appui pour coopérer avec leurs voisins francophones. Nous le faisons en développant l’enseignement du français en milieu militaire. Ils souhaitent aussi que nous les accompagnions dans l’accroissement de leurs capacités maritimes. L’ambassadrice du Nigéria m’a exprimé son souhait d’entretenir une coopération avec la France de même niveau que celui que nous avons avec les pays du G5 Sahel.
À l’évidence, nous devons mettre ces demandes en perspective avec nos moyens. Nos militaires et nos équipements sont déjà très sollicités avec l’opération Barkhane, qui couvre un territoire grand comme l’Europe, et nous ne pouvons malheureusement pas être partout. Pourtant, je pense qu’il est indispensable que nous soyons plus présents au Nigéria, tant le poids de ce pays est considérable dans la région. Le développement de notre coopération de défense aura des effets bénéfiques dans tous les domaines, y compris économique. Nous ne devons pas laisser la place à d’autres. Nos partenaires n’hésitent pas à venir nous concurrencer dans nos zones d’influence traditionnelles ; nous devons faire de même en Afrique anglophone.
Et c’est ce que nous faisons avec cet accord. À première vue, celui-ci ne révolutionne pas notre coopération militaire avec le Nigéria ; il offre un cadre juridique protecteur pour encadrer les actions de coopération déjà en place, qui devraient s’en trouver facilitées. Cet accord peut également favoriser notre coopération dans le domaine de l’armement.
Les industriels français ont déjà été sollicités par le Nigéria pour l’achat de bâtiments maritimes, mais aussi pour l’acquisition de munitions et la maintenance de la flotte aéronavale. Il appartient désormais à nos industriels de faire des offres rapides et abordables à notre partenaire.
L’accord que nous examinons aujourd’hui pourra donc avoir quelques effets pratiques et immédiats. Mais, au-delà, il donnera une impulsion politique pour aller plus loin, en rehaussant le niveau de notre partenariat stratégique avec le Nigéria, ce qui me semble essentiel.
Je pense que le Nigéria restera demandeur de plus de coopération, car il peut difficilement surmonter seul tous les défis auquel il est confronté. Pour progresser encore dans le domaine militaire, la France a déjà identifié un champ prioritaire : l’échange de renseignement est un domaine central de notre coopération avec le Nigéria. Cependant, nous n’avons pas encore d’accord bilatéral régissant l’échange de données classifiées. La France a d’ores et déjà proposé d’ouvrir des négociations en vue d’obtenir cet accord. Il serait très opportun, pour prolonger l’impulsion politique née de notre coopération dans la lutte contre le terrorisme, que le Nigéria réponde sans tarder à cette offre. Madame la secrétaire d’État, peut-être pourriez-vous nous dire si vous avez eu des échanges récents avec votre homologue nigérian en ce sens.
Une chose me semble sûre : nous ne devons pas ménager nos efforts pour renforcer nos liens avec le Nigéria, pays qui possède un poids et une influence énormes dans la région. Le Président de la République s’est déplacé à Lagos en juillet dernier pour souligner l’importance de ce partenariat, qui s’est déjà traduit par quelques avancées dans les domaines économique, culturel et sportif. Tout cela me semble très positif et doit être poursuivi.
En conclusion, vous l’aurez compris, je crois que nous pouvons ratifier sans réserve l’accord de coopération de défense avec le Nigéria qui nous est soumis. La commission des affaires étrangères s’est prononcée à l’unanimité en faveur de cette ratification, de même que le Sénat, il y a maintenant près d’un an. Je vous engage aujourd’hui, mes chers collègues, à en faire de même.