Tribune publiée dans Le Figaro Vox le 20 mars 2024
FIGAROVOX/TRIBUNE – Alors que la France accueillera le Sommet de la francophonie en octobre prochain, notre pays doit s’emparer de ce sujet qui demeure trop lointain voire poussiéreux pour beaucoup d’entre nous, plaide la députée Renaissance des Français de l’étranger, Amélia Lakrafi.
Amélia Lakrafi est député (Renaissance) pour la 10e circonscription des Français établis hors de France.
Vu de France, et pour beaucoup de nos concitoyens, la francophoniesemble être un héritage désuet, voire encombrant. Pourtant, elle est un incroyable vecteur de modernité, de développement et surtout d’échanges et de partages. La langue française n’est pas le seul apanage des puristes qui croient défendre une langue menacée, et qui en réalité la replient sur elle-même. La langue française n’est pas l’affaire des seuls Français, mais de tous ceux qui la partagent sur les cinq continents, qui l’enrichissent, qui la font vivre et qui la font vibrer. Elle permet à notre pays de rayonner bien au-delà de ses frontières, et de recevoir aussi beaucoup en retour.
Le continent africain constitue aujourd’hui sans conteste le poumon de la Francophonie. Comme l’a dit le président Emmanuel Macron à la tribune du 17e Sommet de la Francophonie en 2018, «l’épicentre de la langue française n’est ni à droite ni à gauche de la Seine mais sans doute dans le bassin du fleuve Congo ou quelque part dans la région». Aujourd’hui, sur plus 320 millions de locuteurs en français, plus de 44% sont des locuteurs résidant en Afrique subsaharienne et sur des îles de l’Océan indien. La RDC, qui a organisé les Jeux de la francophonie en 2023, compte à elle seule 50 millions de francophones qui devraient encore croître compte tenu des importants programmes éducatifs soutenus par le président Félix Tshisekedi et accompagnés par l’AFD, l’UNESCO et l’OIF. Porté par la vitalité de la jeunesse africaine, l’espace francophone se positionne comme un acteur incontournable de l’évolution de l’enseignement supérieur. L’université Senghor d’Alexandrie est une manifestation concrète des synergies possibles au sein de l’espace francophone africain. Elle est le creuset de compétences et d’idées innovantes, et forme des leaders adaptés aux défis contemporains, provenant de l’ensemble du continent.
Le développement de la culture entrepreneuriale est également au cœur de l’action de la francophonie en Afrique francophone. Le programme «Entreprendre» de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) se distingue dans ce domaine et se déploie dans huit pays, dont le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Car ne nous y trompons pas : l’espace francophone est aussi une formidable opportunité d’échanges économiques et de croissance. Ce n’est pas un hasard si le MEDEF a favorisé la récente création de l’Alliance des patronats francophones, venue compléter un dispositif de structures existantes et encourageant le développement des liens économiques entre la France et les pays de la Francophonie, en particulier avec les pays d’Afrique. Je me réjouis que le sujet de la francophonie économique et de l’emploi, ainsi que de la mobilité qui va avec, soit désormais au cœur des politiques déployées par de nombreuses instances de la francophonie, notamment dans les programmes à visées éducatives et professionnalisantes.
Mais la francophonie se déploie également hors des pays francophones, montrant le pouvoir d’attraction de la langue de Molière et de la vision du monde qu’elle véhicule, à travers ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), vient d’un pays, le Rwanda, qui compte 6% de francophones. Elle incarne la capacité de la francophonie de porter son message au-delà de ce que l’on pourrait considérer comme ses frontières naturelles. Le Rwanda joue d’ailleurs un rôle croissant dans le réseau de la francophonie, qui soutient dans le pays les initiatives visant à renforcer les capacités économiques et entrepreneuriales, notamment par le biais de programmes de formation, d’assistance technique et de financement de projets. L’OIF porte également des actions en faveur de l’égalité hommes femmes à travers des projets à Kigali et Ndera en vue de favoriser l’autonomisation économique des femmes dans le cadre des activités du fonds «la francophonie avec Elles».
L’Afrique anglophone est un espace où l’attrait pour le français ne cesse de croître, preuve que la francophonie n’est pas un combat d’arrière-garde du village gaulois encerclé, mais qu’elle peut au contraire prendre sereinement sa place dans la mondialisation. Preuve en est le déploiement au Ghana, depuis 2022, de 21 enseignants volontaires issus de dix pays francophones différents. Le succès de ce projet, qui a reçu un accueil chaleureux, prouve qu’une attente existe et que l’enseignement supérieur francophone doit y répondre. Même lorsque la place du français dans l’enseignement supérieur semble menacée et contestée dans le débat public, comme c’est parfois le cas au Maghreb, le prestige de notre langue reste fort. En 2017, l’ESSEC a ainsi inauguré un nouveau campus «Afrique-Atlantique» à Rabat, preuve que notre langue a encore de beaux jours devant elle dans l’enseignement supérieur au Maghreb.
Le dynamisme de la langue française se traduit par une francophonie en expansion. L’OIF compte 44 États membres et 27 États observateurs, et cette liste ne cesse de croître. À titre d’exemple, l’Estonie est devenue État observateur en 2010, l’Argentine et la Corée du Sud en 2016. 2018 a également été une année faste : la Gambie, l’Irlande et Malte ont notamment rejoint l’organisation. La jeunesse va devenir une caractéristique de plus en plus saillante d’une communauté francophone en expansion dans le monde. L’OIF accompagne déjà ce mouvement, et doit continuer à le faire. À l’horizon 2030, près de 400 millions d’étudiants seront engagés dans des études supérieures. L’espace francophone sera au cœur de cette dynamique.
La récente visite de la ministre de la Culture Rachida Dati, le 15 février dernier, à la Sorbonne Abou Dhabi, a été l’occasion de rappeler à quel point la francophonie est un espace d’échange, de transmission et d’innovation. Le lieu s’y prêtait, les Émirats arabes unis sont membres associés de la francophonie depuis 2010, et multiplient les partenariats culturels avec la France, comme le montre aussi le cas emblématique du Louvre Abou Dhabi. Fondée en 2006, la Sorbonne université Abou Dhabi incarne la capacité de l’enseignement supérieur francophone à concevoir une stratégie intégrant les nouvelles technologies, favorisant l’échange de connaissance et renforçant les synergies institutionnelles. Le campus, idéalement situé sur l’île d’Al Reem, offre des programmes dans les sciences humaines et sociales, les langues, la gestion et l’économie. Attirant des étudiants venus de plus de 60 pays, l’université montre un visage conquérant de l’espace francophone.
L’enseignement supérieur est indispensable pour la francophonie. Investissons dans notre avenir, soutenons nos institutions, et célébrons notre diversité linguistique et culturelle. L’engouement pour le français hors des frontières traditionnelles de la francophonie, notamment dans la péninsule arabique, souligne l’attrait universel de notre langue. En Arabie saoudite, l’introduction du français dans les écoles publiques primaires marque un tournant significatif, reflétant une ouverture culturelle et éducative remarquable. Ces initiatives mettent en lumière la dynamique d’expansion de la francophonie, démontrant que le français continue de tisser de nouveaux liens à travers le monde. Elles illustrent comment, loin de rester confinée à ses bastions traditionnels, la francophonie s’élargit, s’enrichit de la diversité de ses membres.
Ces signaux prometteurs, venant de régions non francophones, devraient nous inspirer et nous rappeler l’importance de soutenir et de célébrer la portée mondiale du français. À l’approche du Sommet de la francophonie, ces exemples d’engagement envers notre langue soulignent la nécessité d’une francophonie ouverte, dynamique et inclusive, prête à embrasser les opportunités de demain.
Ensemble, faisons de la francophonie non seulement une communauté linguistique, mais un espace d’excellence éducative, de coopération, et d’innovation stratégique. Je lance donc un appel à tous les acteurs de la francophonie – gouvernements, institutions éducatives, organisations internationales et sociétés civiles – à intensifier leur engagement envers l’enseignement supérieur. Ensemble, nous pouvons construire un avenir où la langue française, loin d’être seulement un moyen de communication, devient un symbole de notre héritage commun et de nos aspirations partagées. Notre pays accueille cette année le Sommet de la francophonie, qui aura lieu pour partie dans ce magnifique écrin qu’est la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, qui n’aurait jamais vu le jour sans le soutien sans faille du président de la République.
Je sens déjà un réel engouement à mesure que la date du Sommet approche, et je me félicite que la France se saisisse de cette opportunité pour mettre en valeur tout ce qu’elle apporte à la francophonie et tout ce que la francophonie lui apporte. Je souhaite surtout que notre jeunesse, en particulier celle des quartiers populaires, réalise que cette langue française – qu’ils contribuent à faire vivre au travers des musiques urbaines, des cultures populaires qui bien souvent mettent à l’honneur l’éloquence et l’inventivité lexicale – est un atout pour eux ! Je souhaite qu’ils soient fiers d’appartenir à cet espace, qu’ils réalisent à quel point c’est une opportunité pour eux d’ouverture sur le monde et sur les autres. Qu’ils réalisent aussi à quel point ils jouent eux-mêmes le rôle le plus important qui soit, en jouant avec notre langue, en la faisant vivre. Sans cela, ce Sommet ne serait qu’à moitié réussi.
Députée LREM des Français établis à l’étranger (Afrique, Moyen-Orient et Océan Indien)
Ancienne Cheffe d’entreprise Cybersécurité, Commandant de réserve Cyber-défense